Législation

Biodiversité et responsabilité : la puissance des chiffres

Quelques chiffres officiels, démontrant la puissance de persuasion de « l’arme des chiffres », si souvent utilisée.

Les chats

Une étude Anglaise a montré que les 9 millions de petits félins Britanniques seraient responsables de la mort de 55 millions d’oiseaux chaque année, et au total ils seraient responsables de la mort d’environ 275 millions d’animaux chaque année au Royaume-Uni. Ce chiffre inclut une grande variété de proies (petits mammifères, reptiles, amphibiens, papillons et oiseaux).

Les densités de chat sont évidemment plus élevées dans les zones urbaines. Une étude a montré qu’il pouvait y avoir jusqu’à 230 chats sur un kilomètre carré ! Aux Etats-Unis, les chiffres sont encore plus spectaculaires : entre 1.4 et 3.7 milliards d’oiseaux et entre 6.9 et 20.7 milliards de petits mammifères par an. Les chats domestiques tuent entre 5 et 10 oiseaux par an, les chats errants entre 30 et 50. Compte tenu du nombre de jardins en zone urbaine et rurale, et de leur importance en tant qu’habitat pour la nidification et leur alimentation, l’impact de la prédation féline est majeur. Il y a 2 millions de chats en Belgique. Si l’on extrapole les chiffres, cela fait entre 10 et 20 millions d’oiseaux tués. Il est douteux que les 20.000 sangliers Wallons soient aussi néfastes pour la gent ailée. Pour aboutir à ces mêmes chiffres, il faudrait que chaque sanglier dévore à lui seul 600 oiseaux…

Les chiens errants

Au Royaume-Uni, où les loups sont absents, 30.000 brebis et entre 5.000 et 10.000 agneaux sont tués chaque année par des chiens. Ces pertes s’élèvent à 2,5 millions d’euros par an.
Parmi les mammifères sauvages, les ongulés sont les premières victimes. Une étude menée en Haute-Savoie (Esteve, 1985) révèle que 13 à 26 % de la mortalité des ongulés sauvages serait imputables aux chiens ; les chevreuils étant les plus touchés par cette prédation. Dans la Réserve nationale de chasse du Caroux-Espinouse (Hérault), un peu plus de 4 % des cadavres de mouflons de Corse retrouvés auraient subi la prédation de chiens

Les machines agricoles

En Allemagne, chaque année, 100.000 jeunes cervidés sont victimes des machines agricoles. Le taux de mortalité des femelles Colverts au nid varie entre 19 et 40% et dans près de 50% des cas la prédation constitue le premier facteur de mortalité suivi des machines agricoles. Une étude réalisée sur un territoire Marnais d’environ 1 000 hectares, a montré que la presque totalité des poules de perdrix grise était tuées sur le nid aux stades incubation et éclosion lors de la première coupe de luzerne, avec une destruction de 50 % des œufs. Toujours dans la Marne, des essais d’effarouchement sonore, réalisés en juillet lors des récoltes de luzerne, ont révélé que 11 % des lièvres présents dans les parcelles suivies avaient été tués par la faucheuse, de même que 23 % des lapins et 13 % des perdrix grises.

Le taux de mortalité des lièvres a été estimé à 16 % par coupe. Chaque parcelle pouvant être fauchée trois ou quatre fois dans l’année entre mai et août, cela représente pour les secteurs étudiés de l’ordre de 25 lièvres tués par 100 hectares de luzerne et par an.

L’agriculture industrielle

La situation dans les plaines et les grandes cultures peut être réellement jugée comme catastrophique : la biodiversité est en chute libre, tous les indicateurs montrent une réduction majeure de la diversité, aussi bien en matière de végétaux, que d’insectes, et d’oiseaux, et en ce cas, ce ne sont certainement pas les sangliers qui sont responsables.
Le rapport de l’OCDE concernant l’examen des performances environnementales en Belgique est très clair à ce sujet :
« Selon les données disponibles, l’évolution passée vers une dégradation des habitats et une perte de diversité biologique ne s’est pas inversée. Il ne reste guère de place pour la nature sauvage en dehors des forêts et des zones protégées. Les mesures prises n’ont jusqu’à présent guère permis de contenir les fortes pressions qu’exercent la culture et l’élevage intensifs sur les écosystèmes aquatiques et terrestres » http://environnement.wallonie.be/rapports/ocde/_belgique.

La levée de l’obligation pour les agriculteurs de mettre une partie de leur exploitation en jachère a eu pour conséquence la disparition brutale, du jour au lendemain de 20.000 Ha de jachères, soit plus que la superficie de Bruxelles (16.000 Ha) ! Impact écologique d’autant plus important que ces jachères étaient disséminées sur l’ensemble des zones agricoles, réalisant un maillage écologique déjà bien mis à mal par le remembrement. L’agriculture industrielle aboutit à de larges étendues de terre dénudée en hiver, recouverte de hardes de corneilles, qui sont des prédateurs bien plus redoutables pour les oiseaux que les sangliers.

La sylviculture

On peut très bien concevoir, et cela est dans la logique des choses, que le sylviculteur puisse avoir pour objectif premier la rentabilité financière de ses plantations. Malheureusement, cela se traduit souvent par une gestion de la forêt qui s’apparente plus à de l’agriculture industrielle, essentiellement pour les résineux, qui représentent près de la moitié de la surface boisée. Considérons une plantation d’épicéas ou de douglas. Les arbres, une fois arrivés à maturité sont abattus, les branches sont ensuite girobroyées jusqu’à obtenir un « tapis de sciure ».

La puissance destructrice des machines utilisées est impressionnante. Or, il n’existe aucune étude sur l’impact écologique du girobroyage, et par conséquent aucune réglementation pour limiter, par exemple, cette pratique à une période précise de l’année, ni à un laps de temps après la coupe. Un tel chantier, si il est réalisé juste après la coupe (au stade de branches) aura moins d’impact écologique négatif que si il est réalisé, par exemple, 2 ou 3 ans plus tard : entretemps une végétation diversifiée s’y sera développée, et si le girobroyage est réalisé au printemps et en été, il faut s’imaginer les dégâts majeurs en matière de perte de biodiversité: sans compter la végétation, la flore, tous les nids au sol seront détruits, et les animaux (insectes, micromammifères, faons) broyés. Il s’agit donc bien d’agriculture industrielle.

Petit exercice de calcul à l’usage des enfants d’école primaire : combien de sangliers faudrait-il pour aboutir à un massacre biologique équivalent ? Un beau sujet d’étude pour les biologistes en recherche de publications…

Choc de symboles : le dernier orvet ayant survécu à ce cataclysme écologique est prédaté, non pas par un sanglier, mais par une autre espèce protégée.

Les sangliers sont également incriminés dans le tassement des sols et nombreuses sont les photos montrant des enclos-exclos avec une végétation luxuriante à l’intérieur et inexistante ou presque à l’extérieur. Les sangliers sont également accusés d’éroder par piétinement les sols, rendant toute régénération impossible, les sols étant dénudés, et ce surtout, dans les points de nourrissage

L’impact des lourdes machines de sylviculture est nettement plus important. Les lésions de scalpage (effet de fraisage et de laminage à la surface du sol, qui ont comme effet direct la destruction des racines dans les couches supérieures), l’orniérage, martelage et compactage entraînent un tassement des sols avec les conséquences sur la régénération naturelle.

Une belle chênaie, avec une végétation au sol abondante…
Une belle chênaie, avec une végétation au sol abondante…
Il s’agit pourtant d’un point de nourrissage hivernal… (Photo prise au mois de mai, alors que la végétation n’a pas atteint son développement maximal).

Il faut donc relativiser les choses et replacer le degré de responsabilité de perte de la biodiversité en fonction de l’impact réel.

Législation

Biodiversité et reponsabilité

La préservation de la biodiversité est sans conteste une préoccupation majeure de notre époque et un impératif incontournable pour notre planète, notre avenir et celui de nos enfants. Tous les acteurs impliqués ou susceptibles de l’être (chasseurs, agriculteurs, sylviculteurs, naturalistes, pêcheurs, écologistes, environnementalistes, DNF, politiques) doivent être conscients de cette nécessité. Là où les avis divergent, c’est sur les vraies responsabilités de la perte de la biodiversité et les moyens à mettre en œuvre pour l’enrayer.

La tendance actuelle est de pointer du doigt les « surdensités en cervidés et sangliers », dénoncées de façon répétée, voire obsédante par les sylviculteurs et les environnementalistes.
L’excès nuit en tout.

Avoir des densités excessives n’est certainement pas une bonne chose.

Mais il ne faut pas tomber dans l’excès contraire et prétendre que les densités moyennes actuelles sont susceptibles de mettre en péril la forêt telle qu’elle existe de nos jours. S’il est incontestable que des densités excessives (encore faut-il s’entendre sur la définition du terme excessif) sont susceptibles de nuire à la biodiversité, leur responsabilité globale est clairement surestimée.

Le sanglier et la biodiversité

Cible première des environnementalistes, le sanglier est accusé d’être une calamité pour la biodiversité, et désigné comme étant un des responsables principaux de la diminution de l’avifaune, des reptiles et des batraciens, au point de mettre la survie de ces espèces en péril.

A propos des oiseaux

Pour bien mettre en évidence l’impact des sangliers sur l’avifaune, on fait souvent référence à une étude dans laquelle des « faux » nids, garnis d’œufs de caille, ont été placés sur un territoire de chasse (lequel présentait une forte densité de sangliers : 150 individus tirés par 1000 Ha/an, alors que la moyenne en Wallonie est inférieure à 40 individus tirés/1000Ha/an) et ces nids étaient surveillés par des pièges photos afin d’identifier leurs prédateurs potentiels.

Le taux de prédation était attribuable aux sangliers dans 40% des cas.

La conclusion de cette étude a été que l’impact d’une population de sangliers sur la population est majeur et pointe l’animal comme étant un responsable de la raréfaction de certaines espèces d’oiseaux.

Etude de l’impact du sanglier (Sus scrofa L.) sur la biodiversité des milieux ouverts dans le périmètre LIFE et sur l’avifaune nichant au sol du camp militaire de Marche-en-Famenne
Speybrouck E., Licoppe A. Lejeune P.

Nonobstant le fait que 40% soit minoritaire, la méthodologie de l’étude ne précise pas de quelle manière les « faux nids » étaient placés et dans quelle mesure leur camouflage était aussi efficace qu’un nid « naturel » au sol. Sur les photos qui illustrent l’étude, les nids semblent bien visibles. A noter qu’un total de 55.5 % du total des nids a été prédaté…

Trouver un nid naturel au sol est autrement plus difficile, les oiseaux prenant évidemment bien soin de les cacher dans une végétation dense. A quelle distance des coulées et des points de nourrissage les « faux nids » étaient-ils placés ? Aucune mention n’est faite à ce sujet. Les statistiques officielles concernant l’avifaune montrent sans conteste une très nette diminution des populations, certaines espèces étant parfois au seuil de la disparition. Mais cette diminution est-elle attribuable au grand gibier ?

Le graphique suivant, extrait du « Tableau de bord de l’environnement Wallon », p 102, montre que la population de grand gibier a plus que doublé en 20 ans. Personne ne contestera ce fait.

Cependant, sur le même document, page précédente (p 101), on trouvera un graphique attestant effectivement la chute de l’avifaune.

Or cette diminution concerne quasiment exclusivement les oiseaux nicheurs inféodés aux milieux agricoles. Les pratiques culturales intensives, le remembrement, la banalisation du milieu, l’usage des pesticides ont un impact direct et majeur sur l’avifaune, très clairement sans aucune mesure avec celle de la prédation des sangliers.

Par contre, les recensements d’espèces inféodées aux milieux forestiers ne montrent pas de diminution depuis 1990, alors que les populations de grand gibier ont plus que doublé sur la même période : il est donc logique d’en déduire que l’augmentation du nombre des cerfs et des sangliers n’a eu aucun impact négatif sur la population d’oiseaux forestiers et lesdites affirmations, sont par conséquent inexactes. Bien au contraire : par exemple, la cigogne noire, espèce emblématique et exigeante en matière de qualité de l’environnement, se porte bien, voire même très bien dans nos forêts Wallonnes. D’autres, par contre, en particulier les tétras lyre et les gélinottes, ont quasiment disparu, mais bien avant cette augmentation d’effectifs des sangliers : leur responsabilité est par conséquent exclue, la cause étant clairement la disparition de leurs biotopes spécifiques. Les sangliers étant opportunistes et omnivores, leur impact potentiel sur la biodiversité est réel, mais à moins d’avoir une population délirante, clairement surestimé.

Si on ne peut contester que si un sanglier rencontre un nid au sol, les œufs seront dévorés, l’animal n’a cependant pas un instinct de prédateur et ne recherchera pas systématiquement ou de façon délibérée les nids pour les détruire. En effet, les études scientifiques montrent que les végétaux constituent 80 à 90 % de son régime, les aliments d’origine animale excédant rarement 10% de son alimentation et sont constitués essentiellement d’insectes, d’escargots, de vers de terre, et de charognes.

A propos des reptiles et des batraciens.

Observation de terrain : les environnementalistes accusent les sangliers d’être responsables de la diminution des reptiles et des batraciens.

Mais en réalité, qui est donc responsable de la raréfaction des reptiles et des batraciens ?

  • En premier, et de très loin, la principale cause de raréfaction des batraciens est la raréfaction des zones humides. Un simple fossé de drainage dans un terrain fangeux est infiniment plus délétère pour les batraciens qu’une compagnie de sangliers.
  • En second, les voitures; en ce qui concerne les batraciens écrasés sur les routes, on estime, que sur un an, en Belgique, 60.000 batraciens sont « sauvés » par les bénévoles qui les font traverser dans les zones sensibles au moment de la reproduction.Sachant qu’il s’agit d’une action limitée dans le temps et l’espace, on peut extrapoler l’hécatombe réelle que cela représente.
  • Et ensuite, il faut bien que tout le monde se nourrisse : hérons, mustélidés, et même les buses, les foulques, les canards, les renards, les braconniers, etc…

Une étude objective sur l’évaluation de l’impact des populations de sanglier sur la biodiversité, commandée par la Région Wallonne et réalisée par le département de zoologie de  l’Université de Liège, après une étude approfondie des études scientifiques publiées, aboutit à la conclusion suivante :

  • « En milieu forestier, l’activité du sanglier peut mener à la destruction de la strate herbacée, à l’élimination des pousses, à l’altération de la régénération des arbres, à la diminution de l’activité biologique du sol et à une accélération de l’érosion.
    Quelques éléments positifs de l’impact du sanglier en forêt sont cependant mis en lumière : rôle de disséminateur des graines, effet favorable sur la croissance des arbres. Hors forêt, les fouilles sont généralement suivies d’un enrichissement spécifique du milieu. L’impact du sanglier sur la faune est relativement variable. Les études relativisent son importance dans la prédation des nids et la régression des populations de tétraonidés » (Corinne Maréchal).

Cette conclusion est nettement plus nuancée que les assertions habituelles.